Maison de briques effondrée, tornade de Bihucourt, le 05.11.2022 @Justine Hubert
Dimanche 23 octobre 2022, l’impensable s’est produit : une tornade a ravagé la commune de Bihucourt, dans le Pas-de-Calais. Si ce genre d’événement n’est pas une première, il frappe rarement l’Hexagone.
« J’ai trouvé un gros bout de bois planté dans la porte de ma cuisine. Si j’avais été là, j’aurais été transpercée. », déclare Chantal, la voix chevrotante. Comme la plupart des habitants de la commune, elle a tout perdu. Sa voisine, qui était sur les lieux lors de l’incident, est sortie de la douche, son bébé dans les bras et les yeux rivés sur le ciel : la toiture était complètement arrachée. Pignons écroulés, fenêtres et carreaux implosés, tout est à reconstruire. « La force de la tornade a même décalé les montants des portes qui se sont ouvertes toutes seules », fait remarquer une autre sinistrée. Tous ont été pris de court. « J’étais à la maison avec mes enfants et je regardais par la fenêtre à quel point le temps changeait vite. Des nuages se sont mis à descendre vraiment bas, quasi à ras-de-terre, et à tourbillonner. Puis, des tôles et des troncs d’arbres se sont mis à passer devant les fenêtres. Immédiatement, on a baissé les volets et on a couru au sous-sol pour se protéger. », raconte le maire du village. Personne ne s’attendait à cette tornade. La Croix-Rouge, qui déploie ses équipes en cas de sinistre, n’était pas en préalerte. Aucun risque de vent fort signalé, ni d’appel de la préfecture. « C’est du jamais vu », ajoute un bénévole venu prêter main forte. « Les habitants nous disent que tout s’est passé en trente secondes et qu’ils n’ont pas eu le temps de réagir. Malheureusement, cela risque de se produire de plus en plus », finit-il par ajouter, l’air inquiet. Le dérèglement climatique fait partie des premiers soupçonnés. Josiane, sinistrée, nous partage sa vision : « Il fait vraiment très doux pour la saison. Mais je me demande si les éoliennes ne jouent pas un rôle là-dedans … Il serait question de masse d’air chaud et froid. Peut-être qu’il existe un lien entre les deux. ». Si personne ne peut expliquer le phénomène, le constat est unanime : contre la nature, impossible de résister.
Un phénomène rare, difficile à intercepter
Aucun acteur public n’a su anticiper la tornade de Bihucourt. Pourtant, Rick Bekker a réussi à la photographier à seulement quelques kilomètres de distance. Ce chercheur d’orage, qui se déplace surtout aux Pays- Bas, en Belgique, en Allemagne et en France avait repéré un nuage anormal quelques jours avant l’incident, aux alentours de la commune. Pour Tony Le Bastard, météorologue chez Météo France, et chasseur d’orage comme son compère, il est impossible de prédire avec certitude la formation d’une tornade. De fait, il s’agit d’un événement multifactoriel, très rare. L’air chaud et humide du sol doit pouvoir rencontrer l’air froid en altitude. Ce qui peut causer une instabilité des vents. Dans ce cas, l’orage prend une tournure particulière : une colonne de rotation se forme, les vents se dirigent vers le sol et tourbillonnent dans un mouvement ascendant. De là naissent les tornades. Si le phénomène est exceptionnel, les chasseurs d’orage disposent de hautes technologies qui peuvent les aider à intercepter sa formation.
« Des nuages se sont mis à descendre vraiment bas, quasi à ras- de-terre, et à tourbillonner. »
Cartes météo, images radar, images satellite … Au fil des jours, ils parviennent à mieux cibler les zones dans lesquelles des orages anormaux peuvent se produire. Une fois le périmètre identifié, ils se rendent sur les lieux, en voiture. Grâce aux données météo, fournies en « live », et aux outils de mesure des vents, les orages en rotation sont plus facilement détectables. Mais c’est seule- ment une fois sur place, lorsque le tourbillon se densifie en se rapprochant du sol qu’on peut confirmer la naissance d’une tornade. Un épisode qui est parfois très bref. Rick Bekker, qui a assisté à la formation de la tornade de Bihucourt n’a pas eu le temps d’alerter quiconque. A peine entrée en contact avec le sol, la tornade fondait sur la commune.
Un phénomène auquel la France n’est pas préparée
« Si la tornade avait frappé plus tard dans la soirée, les habitants n’auraient pas pu se mettre à l’abri. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de mort. », souligne l’une des sinistrés de Bihucourt. Quatorze ans auparavant, une tor- nade avait tué trois personnes à Hautmont, dans le Nord. Mais ces tornades de forte intensité restent exceptionnelles. Depuis le début des années 2000, seules 4 tornades de force EF3, sur une échelle allant de 0 à 5, et une de force EF4, ont été recensées. En France, la plupart des tornades sont de faibles intensi- té (EF0 et EF1). On en dénombre 40 à 50 par an. C’est pourquoi la météo nationale s’intéresse peu au phénomène. Pourtant, le risque n’est pas nul.
« C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de mort. »
D’après Tony Le Bastard, s’il est quasiment impossible de prévoir une tornade à un endroit précis, elle peut se produire à peu près partout, y compris dans des grandes villes comme Paris : « Seules les régions où il y a beaucoup de relief peuvent être épargnées. Même si le risque est minime, on gagnerait à mieux sensibiliser la population. De manière générale, la culture météo n’est pas très développée en France. ». Aux Etats-Unis, où il y a en moyenne plus de 1000 tornades par an, les citoyens ont développé un vrai système d’alerte. Un premier niveau, donné à l’échelle des états, in- vite les habitants à préparer des solutions d’abris et de nourri- ture. Un second niveau, plus avancé, donné à l’échelle d’une ville, invite les citoyens à se réfugier de toute urgence dans la cave d’un bâtiment solide ou dans l’abri anti-tornades le plus proche. Des bénévoles sont formés par le service de météo national des Etats-Unis pour repérer les phénomènes météorologiques extrêmes et lancer l’alerte. In fine, les rapports sont plus précis, ce qui permet de gagner du temps pour s’abriter. Si la France est plutôt bredouille en matière de prévention, une application d’alertes géolocalisées est en cours de dévelop- pement à l’échelle européenne. Son nom : « cell broadcasting ». Un sms serait envoyé aux personnes situées dans une zone à risque (attentat, catastrophe naturelle …). Mais pour l’instant, le système n’est pas assez réactif pour être utilisé en cas d’alerte météo.
« La culture météo n’est pas très développée en France. »
A cause du réchauffement climatique, les inondations et les ouragans s’intensifient. Même si aucune projection n’est possible, il n’est pas exclu que les tornades suivent le mouve- ment. Ce qui est certain, c’est que la tornade de Bihucourt a marqué les annales : avec une distance parcourue de plus de 200 kilomètres et une durée de plus de deux heures, c’est la tornade la plus longue que l’histoire ait jamais connue.
Une enquête par Servane Guillon et Justine Hubert