Maison de Francis Leduc @Francis Leduc
Murs fissurés, portes et fenêtres retournés … en 2022, 4 arrêtés ministériels ont statué l’état de catastrophe naturelle dans le département des Deux-Sèvres. L’origine de ces dégâts : un phénomène dit de « Retrait-Gonflement Argiles”, aussi connu sous le nom de “RGA”. Pour en savoir plus nous avons rencontré deux sinistrés qui se battent pour sauver leur maison et celles de leurs concitoyens.
Des maisons complètement retournées
“Les fissures sont plus grosses que mon doigt” affirme Francis Leduc, propriétaire d’une maison à Saint-Georges-de-Noisné, une commune située dans le département des Deux-Sèvres. Carrelage, plafond, murs … différentes parties de l’habitation sont impactées. “J’ai dû faire reboucher les fissures car je craignais un dégât des eaux” … même si Francis ne craint pas pour sa vie, il est très embêté au quotidien. “Certaines fenêtres, rectangulaires à l’origine, ont pris la forme d’un parallélogramme. Il n’y a qu’à voir le décalage entre le papier peint et la menuiserie, c’est frappant.” Il va plus loin : “Je dois utiliser le pied de biche pour ouvrir la porte du local technique. Et encore, je dois attendre qu’il y ait assez d’humidité.“ De fait, plus le sol argileux, sur lequel est construite la maison, est gorgé d’eau, plus il gonfle. Ce qui fait remonter certaines structures de la maison. Résultats, les mécanismes sont de nouveau alignés et la porte peut s’ouvrir. A l’inverse, en temps de sécheresse, le sol se rétracte. Ce phénomène porte le nom de Retrait-Gonflement des Argiles (RGA). Un phénomène qui exerce des pressions sur l’habitat (murs, fondations …) entraîne des décalages de niveau et provoque des dégâts, parfois très importants.
Pour Arnaud Chargelegue qui vit avec sa femme dans la commune de La peyratte dans le département des Deux-Sèvres. Les premières fissures sur sa maison sont apparues en 2011. La commune a été reconnue comme victime de l’état de catastrophe naturelle pour des questions de RGA en 2012. En janvier 2017 les murs porteurs de sa maison ont été consolidés par une injection de résine. “ L’injection de résine liquide descend jusqu’à deux ou trois mètres de profondeur sous les fondations, elle est envoyée dans les fissures pour protéger la maison des mouvements du sol “, assure Arnaud Chargelegue. Mais cela n’a pas suffi, d’autres fissures sont apparues en 2020, expert et assureur ont réétudié l’état de son logement : “ils ont constaté que les fondations bougeaient encore, ils ont alors cassé tout l’intérieur de ma maison en juin, ils n’ont gardé que le plafond.“ Mais le cauchemar continue. “En juillet 2022, le placo a commencé à se fissurer”, deux ans après la reconstruction de l’intérieur de sa maison. Selon l’entreprise, il n’y a pas assez de résine, il faudra donc en réinjecter. Arnaud Chargelegue ne se sent pas en danger dans sa maison, tant que l’eau ne rentre pas et qu’il n’y a pas d’infiltration. “Le plus inquiétant, c’est quand on part assez loin, on doit absolument fermer les volets afin que personne ne rentre”, confie t-il. En effet, sa porte d’entrée frotte de nouveau et la porte de sa chambre ne ferme plus. “C’est une baie vitrée et le sol s’affaisse d’un côté, elle est donc bancale. Je ne peux plus la fermer. Je suis obligée de mettre un bois pour la bloquer afin que quelqu’un ne puisse pas rentrer.”

Les murs, intérieurs et extérieurs de Francis sont touchés @Francis Leduc
Des dégâts causés par les épisodes climatiques extrêmes
“En 2016, j’ai aperçu les premières fissures, mais le gros est apparu en 2017, avec l’apparition d’épisodes de sécheresse et de pluies de plus en plus intenses et de plus en plus fréquents. Avant cela, ma maison n’avait jamais subi de tels dommages.” fait remarquer Francis Leduc. De fait, plus la teneur en eau du sol varie rapidement et fortement, plus l’amplitude du phénomène de RGA est importante. Les fondations sont mises à mal, ce qui se répercute sur les parties les plus fragiles de la maison, notamment les ouvertures et les menuiseries. Quant à Arnaud Chargelegue, le constat a été foudroyant : « Je suis partie six jours en juillet, quand je suis revenu, le placo, qui s’était décalé, était complètement éclaté. Le placo ne devrait pas se décaler en temps normal, c’est bien dû à la sécheresse et au fait que ma maison est construite sur un sol argileux A4, donc très sensible au RGA. ».

L’effet de RGA sur la porte de Francis Leduc @Francis Leduc
L’arrêté de catastrophe naturelle, un processus laborieux
Dès l’apparition des premières fissures en 2016, Francis a le bon réflexe : il déclare l’incident à la mairie, en espérant qu’un arrêté de catastrophe naturelle soit prononcé. L’arrêté n’a pas été prononcé tout de suite. C’est seulement deux ans plus tard, le 20 octobre 2018 que sa commune a été reconnue comme un territoire soumis à une catastrophe naturelle. Mais la démarche peut être encore plus longue si l’on ne connaît pas bien la procédure à respecter. Arnaud Chargelegue nous explique ce qu’il en est : « Quand vous avez des fissures qui apparaissent chez vous, il ne faut pas prévenir l’assurance en premier lieu, car l’assureur attend un arrêté de catastrophe naturelle au niveau de la commune. Il faut donc contacter votre mairie pour déclarer votre maison sinistrée», affirme Arnaud Chargelegue. Par la suite, la mairie envoie le dossier à la préfecture. Celle-ci l’envoie au ministère de l’Intérieur et une commission se réunit afin d’étudier tous les dossiers en fonction de la pluviométrie, la météo, l’ensoleillement. Il y a des communes qui sont reconnues et d’autres qui ne le sont pas. « Il faut faire également attention aux dates, si vous avez déclaré à l’assurance que vous avez des fissures qui sont apparues en août et que l’arrêté est du 1er avril au 30 juin, l’assurance ne prendra pas votre sinistre en charge, car il n’est pas compris dans les dates de l’arrêté».
Assurés vs Assureurs : une bataille assez fréquente
Une fois l’état de catastrophe naturelle reconnu, tout reste à faire ! C’est l’enseignement tiré par Francis qui a bataillé pendant 45 mois avec son assurance. Pour l’expert de l’assurance, la sécheresse n’était pas responsable des dégâts occasionnés dans la maison. “Le terrain argileux n’était pas assez souple selon lui. Il est même allé jusqu’à dire que c’est la partie la plus ancienne de la bâtisse qui poussait la plus récente.”, raconte t-il. “Pourtant, l’assurance ne s’est pas gênée pour me demander les 1580€ de franchise pour catastrophe naturelle. Pire que cela, elle m’a demandé d’avancer les frais de réparation de 75 000€ en m’assurant qu’elle me remboursera ensuite.” Il poursuit “Il n’y a rien à faire avec ces gens-là, ce sont des bandits, des escrocs.” Finalement, Francis a fait appel à une contre-experte. Poussé à bout, il a préféré ne pas collaborer directement avec son assurance. “J’ai dû écrire des milliers de courriers, un vrai roman. J’ai contacté le préfet, le sénateur et la présidente du département pour leur raconter ce que je vivais et trouver de l’aide. Je me suis aussi retrouvé à éplucher les textes de loi … c’était une confrontation pot de fer contre pot de fer.” Finalement, l’assurance a cédé face à la solidité du dossier constitué par Francis. Il a pu être indemnisé pour quelques travaux comme le rebouchement de certaines fissures. En mars 2023, l’assurance devrait aussi lui permettre de financer des travaux de consolidation : de la résine sera injectée dans les fondations de la maison pour la rendre moins sensible aux mouvements du sol. Pour Arnaud Chargelegue, certains ont plus de chances que d’autres. “Ça peut aller très vite comme ça peut prendre énormément de temps. Cela dépend sur quelle assurance on tombe, sur quelle entreprise on tombe, sur quel expert […] Il faut savoir que les experts sont payés dès lors qu’ils bouclent un dossier. Il arrive que certains soient tentés de clore le plus rapidement possible le dossier en déclarant que la sécheresse n’est pas en cause.” déclare t-il. En tous cas, les conflits entre assurés et experts sont assez courants. “Plusieurs adhérents de l’association des Sinistrés de la Sécheresse sur les Propriétés Bâties des Deux-Sèvres se sont fâchés avec leurs experts en raison de leurs désaccords avec eux. Suite à cela, les sinistrés n’ont pas été reconnus, les assurances n’ont donc ouvert aucun dossier.” ajoute t-il.
L’association ASSPB79 vient en aide aux sinistrés
Cette association rassemble 200 adhérents. Tous sont propriétaires d’une maison dans le département des Deux-Sèvres. Chacun d’eux ont dû faire face au phénomène de Retrait-Gonflement des Argiles et aux embûches administratives pour avoir droit à une indemnisation de leur logement. Concrètement, l’association permet aux sinistrés de mieux comprendre la procédure à suivre. Une aide très précieuse quand on connaît l’ampleur du processus, illustré ci-dessous.

© ASSPB79
Actuellement l’association se bat pour simplifier ce procédé. Les adhérents ont rencontré des députés et des sénateurs pour toucher directement les ministères. Leur combat : se faire indemniser sans avoir à attendre qu’un arrêté de catastrophe naturelle soit prononcé. Les services de l’association sont de plus en plus prisés. Arnaud Chargelegue, membre du bureau de l’ASSPB79 depuis 2012, a noté une hausse de 70 adhérents cette année, soit 50 de plus que l’année dernière. Si l’indemnisation est une lutte déjà bien définie, d’autres problématiques restent à creuser. Parmi elles, se pose la question des techniques utilisées pour consolider les maisons fragilisées. L’injection de résine dans les fondations semble être insuffisante face à l’évolution du climat et des sols qui frappe de plus en plus de maisons, à un niveau plus intense.
Le phénomène de RGA expliqué en 3 questions
Quelle est la mécanique du phénomène ?
Lorsque le sol argileux est trop sec, celui-ci se fendille et se rétracte. Le sol bouge et la maison est déstabilisée. A l’inverse, lorsque le sol argileux se gonfle d’eau, il gagne en volume. Néanmoins c’est surtout le retrait qui provoque des dégâts matériels.
Quels sont les sols qui sont impactés ?
48% du territoire hexagonal a un sol argileux qui présente un risque moyen ou fort de RGA. Ce sont essentiellement les maisons individuelles qui sont impactées. Pour cause, leurs fondations sont moins profondes, ce qui les rend plus sensibles aux mouvements du sol.
Combien de maisons sont concernées par ce risque de RGA ?
10 millions de maisons individuelles sont exposées à un risque moyen ou fort de RGA selon le gouvernement. Mais les épisodes de sécheresse, de canicule deviennent de plus en plus longs, de plus en plus intenses et de plus en plus fréquents. Résultats, les sols argileux sont de plus en plus sensibles au phénomène de RGA.
Une enquête par Servane Guillon et Justine Hubert